Sabine Ndzengue
Amoa Consulting
L'incontournable cabinet de consultations juridiques et de formations tout-en-un

Canada : Le régime fédéral d’évaluation d’impact est en partie inconstitutionnel

Dans sa décision du 13 Octobre 2023, 2023 CSC 23[1] ,  la Cour suprême du Canada a eu à décider que : le régime « projets désignés » dans la Loi sur l’évaluation d’impact, (la Loi concernant le processus fédéral d’évaluation d’impact et la prévention d’effets environnementaux négatifs importants) — est ultra vires du Parlement et est donc inconstitutionnel.

*Présomption de constitutionnalité selon la jurisprudence de la cour suprême du Canada

La présomption de constitutionnalité est un principe cardinal de la jurisprudence de la Cour en matière de partage des compétences.

Selon la présomption, toute disposition législative est présumée intra vires de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, de sorte que le tribunal doit aborder toute question relative à sa validité en présumant qu’elle est valide, à moins que la partie qui conteste celle‑ci démontre le contraire. Cette présomption est également un principe d’interprétation des lois : elle enjoint le tribunal à présumer que le législateur n’a pas l’intention d’outrepasser les pouvoirs que lui confère la Constitution.

Toutefois, cette présomption n’est pas un bouclier impénétrable qui met un texte législatif à l’abri d’un contrôle de la constitutionnalité par les tribunaux, qui ne peuvent pas non plus se servir de la présomption de constitutionnalité pour réécrire un texte législatif comme bon leur semble afin de le rendre conforme à la Constitution. Ils ne peuvent recourir à cette présomption pour faire abstraction d’une loi éloquente et ultra vires de l’organe qui l’a adoptée, et la présomption n’écarte pas l’obligation des tribunaux de contrôler valablement la constitutionnalité d’un texte législatif. Dans la même veine, le tribunal ne saurait contourner son obligation de contrôler valablement la constitutionnalité d’un texte législatif en suggérant que, dans la mesure où un décideur administratif applique inconstitutionnellement une loi, l’application de cette loi pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire.[2]

Motivations de l’inconstitutionnalité par la cour suprême

 Effets juridiques et pratiques de la loi LÉI

Effets juridiques :

1) les projets sont désignés en fonction de la probabilité qu’ils entraînent des effets fédéraux négatifs non négligeables ;

(2) l’Agence décide si elle évalue les projets sur le même fondement ;

(3) le rapport de l’Agence doit indiquer les effets fédéraux négatifs qu’un projet est susceptible d’entraîner et préciser la mesure dans laquelle ces effets sont importants ; et

(4) la décision finale relative à l’intérêt public et les conditions en découlant imposées à l’égard du projet doivent être raisonnables et proportionnées, en fonction des effets fédéraux négatifs, de la mesure dans laquelle ils sont importants et de la possibilité qu’ils soient atténués. Le libellé, le contexte et l’objet de la loi, ainsi que les principes applicables d’interprétation, montrent que le Parlement n’avait pas l’intention que les effets mineurs soient englobés. De fait, le seuil d’importance concernant les effets environnementaux négatifs imprègne chaque étape majeure et chaque décision prise sous le régime de la LÉI concernant les projets désignés. De plus, même si l’interprétation de la LÉI comme englobant les effets mineurs était raisonnablement possible, la présomption de constitutionnalité exige qu’elle soit rejetée en faveur d’une interprétation conforme à la Constitution.

Les effets pratiques de la LÉI, notamment les délais possibles ou l’utilisation de ressources, peuvent représenter des questions importantes de politique générale pour le Parlement, mais elles ne sont pas pertinentes sur le plan constitutionnel.

Le régime des projets désignés est ultra vires

Classer une loi environnementale représente un défi parce que l’« environnement » n’est pas un chef de compétence prévu à l’art. 91 ou 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. La gestion de l’environnement touche différents domaines de responsabilité constitutionnelle. En conséquence, aucun des deux ordres de gouvernement n’a compétence exclusive sur l’ensemble de l’« environnement » ou de l’« évaluation environnementale ». Les deux ordres de gouvernement peuvent légiférer à l’égard de certains aspects de la protection de l’environnement, y compris certains aspects de l’évaluation environnementale d’activités concrètes.

Le processus d’évaluation prévu aux art. 81 à 91 de la LÉI est constitutionnel et peut être dissocié, du reste du régime.

Le régime des projets désignés est ultra vires pour deux raisons primordiales :

De par son caractère véritable, il ne vise pas à réglementer les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » au sens de la LÉI, parce que les effets en question ne dictent pas les fonctions décisionnelles du régime, et la notion définie des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » ne cadre pas avec la compétence législative fédérale.

La portée excessive de ces effets exacerbe la fragilité constitutionnelle des fonctions décisionnelles du régime. La protection de l’environnement demeure l’un des défis les plus pressants de notre époque, et le Parlement est habilité à adopter un régime d’évaluation environnementale pour relever ce défi, mais le Parlement a également l’obligation de s’en tenir au cadre stable de partage des compétences énoncé dans la Constitution.


[1] -https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/20102/index.do

[2] -https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/20102/index.do